Un passionné

en

trente-cinq questions

 

 

Nom : CATEZ

Prénom : Yves

Adresse : 139, rue du Stade

à Landrethun-les-Ardres

 

 

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1) D’où êtes-vous originaire ?

Je suis originaire du canton de Desvres, d’un petit village de cent habitants qui s’appelle Bainghen.

2) Où habitez-vous ?

J’habite à Landrethun-les-Ardres depuis 20 ans.

3) Avez-vous toujours habité à cet endroit ?

J’ai habité deux ans à Licques et deux ans à Lostebarne.

4) Quel est votre métier ?

Mon métier, c’est artisan. Artisan maçon.

5) Quelles études avez-vous faites ?

Mes études sont simples. Ce sont deux CAP (Certificat d’Aptitude Professionnel). Un CAP en menuiserie, en trois ans, et un CAP en maçonnerie, en trois ans.

6) A quel endroit ?

Au Collège d’Enseignement Technique de Lumbres.

7) Avez-vous suivi d’autres formations ?

Non, je n’ai suivi aucune autre formation.

8) Continuez-vous à vous former ?

Non, justement, c’est un petit problème dans nos métiers. C’est l’un des soucis de l’artisan.

9) Avez-vous toujours désiré faire ce métier ?

Oui. Cette envie est venue au fur et à mesure. Elle est venue par le contact humain avec les gens, par le contact physique avec les matériaux. C’est alors devenu quelque chose de très important, ce métier d’artisan.

10) Quand et comment cette envie a-t-elle débuté ?

Cette envie est venue lorsque j’étais très jeune, vers 10/12 ans. Chez mes parents, j’ai eu la chance de voir des artisans venir restaurer comme il y a trentaine d’années. On restaurait alors un peu à la fois et j’ai pu, en m’amusant en quelque sorte, participer aux travaux des artisans menuisiers surtout. J’ai pu leur donner un petit coup de main. C’était une approche très, très forte du véritable artisan.

11) Travaillez-vous seul ?

Oui. Ça fait 22 ans que je travaille comme artisan et, pendant 12 ans, nous avons fait une entreprise générale c’est à dire que nous avons eu 8 personnes salariées. Et puis, suite à diverses circonstances, j’ai décidé de revenir au réel travail que je préfère et j’ai donc redémarré seul.

12) Votre profession vous plaît-elle ?

Oui. Ma profession me plaît beaucoup, énormément. Même si la notion d’artisan n’est plus du tout la même qu’il y a 20 ans. La notion d’artisan est quelque peu défigurée. On profite également du nom d’artisan mais ce n’est plus le véritable métier d’artisan d’antan pour beaucoup. Je pense être resté un véritable artisan.

 

 

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13) Est-ce un métier difficile ?

C’est un métier très difficile. Très physique. C’est pourquoi il faut aborder ce métier délicatement car il est très exigeant. Il faut voir les bons côtés. C’est vrai que c’est un métier sale mais il faut savoir écarter ces mauvais côtés au profit des bons.

14) Avez-vous travaillé pour d’autres entreprises ?

Oui. J’ai travaillé pour deux entreprises. La première était une entreprise de famille car, dans la famille, nous sommes cinq maçons. Mon frère aîné a donc créé une entreprise générale. Suite à son arrêt, après une dizaine d’années, je suis allé travailler chez un artisan, Monsieur DUVIVIER, à Nordausques avant de m’installer.

15) Dans quel secteur géographique travaillez-vous ?

C’est très simple. En gros, c’est le secteur Calais/Ardres. Mais cela à cause de ma situation, du fait que je suis seul. Je me limite à l’Ardrésis. Mais, avant, il y a 2/3 ans, je travaillais de Marquise à Saint-Omer. C’était une quarantaine de kilomètres autour de Landrethun car nous étions 8 personnes et il fallait trouver des chantiers même éloignés.

16) Quels sont les types de vos clients ?

Chez nous, il n’y a pas de sous-traitance, alors ce sont des clients particuliers. Je n’ai jamais fait de sous-traitance. La sous-traitance, c’est une société qui recherche du travail et qui le donne à faire à l’artisan. L’artisan n’a alors pas le contact initial avec le client. Moi, je préfère ce contact alors je ne fais pas ce type de travail. Pour des particuliers, j’ai déjà construit 25 maisons individuelles traditionnelles en briques. Des belles maisons…

17) Quels genres de travaux faites-vous ?

A l’heure actuelle, je me contente de la rénovation. Pose de carrelage, arrangement de salle de bain, couverture, charpente, etc. Ce que j’adore, c’est refaire de la charpente traditionnelle, de la zinguerie, de la plâtrerie. Je rénove. Je transforme, j’améliore les habitations. J’aime ça car on redonne un cachet, une âme à la maison. C’est beaucoup plus intéressant que de faire du neuf. Le neuf, ce sont des lignes. On a des obligations, des plans, etc.

18) Comment vos chantiers débutent-ils ?

Justement, là, il y a une confiance qui doit s’installer et le mot artisan prend tout son sens. Par rapport aux grosses entreprises, un monde nous sépare. Les gens te donnent un travail à faire et ils ont confiance. Ils savent que la réalisation sera parfaite. C’est la valeur de l’artisan. Il faut apprendre à connaître le client et savoir ce qu’il attend. On ne peut pas intervenir chez les gens sans connaître leur personnalité. Lorsque les gens ressentent la confiance, ils te laissent travailler.

19) Comment percevez-vous vos clients ?

Moi, j’ai de la chance. Mes clients, ils sont parfaits. Je travaille avec eux, ils apprennent à me connaître, moi, j’apprends à les connaître, alors, on entretient une confiance mutuelle. On a un contact fort. On parle. Je ne pourrais pas travailler avec des gens qui n’ont pas de communication. J’aime bien savoir ce que les gens pensent de mon travail et, s’il y a un problème, je rejoins le client dans son optique. La qualité du travail est essentielle. Après, c’est le bouche à oreille qui travaille pour moi. C’est ma publicité. D’autre part, chez nous, un choix fort a été fait. Les gens recherchent parfois un produit mais sans avoir le sens des valeurs. Souvent, ils cherchent un produit effectué rapidement mais sans avoir une connaissance de la valeur des choses. Si les clients font appel à nous, c’est pour avoir un produit différent.

20) Avez-vous déjà eu des accidents ?

Il y a deux ans, je suis tombé de trois mètres et ça m’a valu presque un an d’arrêt. Ça m’a coûté le prix de l’entreprise. Ce sont les vertèbres qui ont été touchées. C’est alors que j’ai pris la décision de repartir plus simplement. Je suis également tombé de neuf mètres de hauteur en transformant l’hospice de Guînes en réfectoire. Je suis tombé à plat sur le dos. Pendant trois semaines, je n’ai pas pu parler. Je ne pouvais respirer que le minimum. J’étais à moitié mort. Mais, j’ai refait surface. Ma chance a été d’être jeune à l’époque. Maintenant, ce ne serait plus pareil. Mais il ne faut pas voir ces côtés négatifs. On a un beau métier. Le mot essentiel, c’est la passion. Il faut aimer ce que l’on fait. Pour devenir quelqu’un de bien, il faut respecter celui qui veut te former. Il faut s’inspirer de ce qu’il fait. Je pense qu’il faut attendre l’âge de 30ans pour être un artisan au point. Le métier d’artisan est défiguré par le fait de la productivité. L’essentiel, c’est de savoir travailler. Il faut savoir s’arrêter sur le travail que l’on fait. Savoir aussi s’arrêter sur des ouvrages réalisés par les autres ou les anciens pour découvrir comment ils ont été conçus. A partir de là, on ouvre des portes. Chez nous, la curiosité est très importante. Sinon, pour en revenir aux accidents, j’ai bien sûr aussi eu quelques petits accidents plus bénins.

21) Avez-vous le vertige ?

Vous voyez, j’ai 49 ans. Il y a 10 ans, je montais encore partout, je n’avais aucune crainte. Aujourd’hui, tout est mesuré. Je monte encore partout, je fais toutes les hauteurs, mais je prends beaucoup plus de temps. Je mesure tous les dangers. C’est l’âge qui te donne ça. Maintenant, je mets toutes les sécurités. Il y a 10 ans, je montais sans rien, sans protection. Je ne voyais aucun danger. De plus, maintenant, je ne ferai jamais monter quelqu’un sans avoir testé moi-même. C’est moi qui monte en premier et celui qui est avec moi montera si j’estime qu’il n’y a pas de danger. Il y a un âge pour tout. Quand on est jeune, on ne voit pas le danger. En vieillissant, on mesure tout.

22) Faites-vous souvent de la publicité ?

Oui. J’ai fait de la publicité mais jamais dans les journaux. Je l’ai faite par le biais des associations. Notre nom apparaît sur les affiches. C’est plutôt pour aider. La vraie publicité, c’est le travail. C’est le travail bien fait. Ce sont les gens qui font ma publicité.

23) Refusez-vous souvent certains travaux ?

Je dirai non. Mais je refuse les gros travaux urgents. Les gros travaux sans concertation ni planning, je les refuse. Ça, c’est le défaut de l’artisan, il faut planifier son travail dans le temps. Les gens doivent comprendre ça. On peut accepter tous les travaux car on sait les faire, on a de l’expérience, mais si on ne peut pas les planifier on ne les accepte pas. On ne peut pas servir le client dans l’urgence sur de gros travaux sans planification ni concertation. Ce n’est pas le travail que je refuse, c’est la manière de faire. Je pense faire sourire quelques clients ici.

24) Prenez-vous des apprentis ?

Oui. J’en ai pris en permanence. Mais le reproche que j’ai vis à vis d’eux, c’est que le temps d’apprentissage est trop court. Ce n’est pas de leur faute, c’est la faute au système d’enseignement. Les apprentis passent ici trois semaines, c’est renouvelé souvent, mais c’est trop court. Lorsque le jeune est prêt pour vraiment acquérir le métier, il s’en va. Ce n’est pas un vrai apprentissage. Lorsque l’activité était forte, j’en ai eu deux à trois en même temps. Ils sont, pour la plupart, restés dans le métier. Dans des grosses entreprises, pour le salaire souvent. Un jeune doit se former. Lorsqu’il quitte l’apprentissage, après deux ans de formation, il connaît le métier mais il a encore beaucoup, beaucoup à apprendre. C’est un grand monde, le métier. Un jeune ne peut pas être artisan de suite. Il faut être plus assuré qu’un jeune qui sort de l’école pour être artisan. Il faut voir beaucoup d’autres choses. Notre métier ne se limite pas à savoir poser une brique.

 

 

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25) Formez-vous des jeunes en dehors des apprentis ?

Oui. Je forme des jeunes. Mais pas pour notre entreprise. Moi, ce que je veux, c’est former entièrement un jeune. Qu’il devienne un réel collaborateur et qu’il désire réellement apprendre son métier. A l’heure actuelle, je suis plus vigilant par rapport à ça. Je vois ça directement avec les parents et le jeune. Je veux des gens sérieux auprès de moi sachant qu’il saura réellement faire quelque chose plus tard.

26) Pensez-vous qu’il y ait assez de maçons en France ?

Oui, je pense. Même si les statistiques disent que non parce que le bâtiment est devenu énorme et que le métier a été délaissé en quelque sorte. Suite à l’évolution du bâtiment, il en manque, c’est sûr. Maintenant, en trois mois de temps, on te forme un maçon. C’est le maçon de base, ce n’est pas l’artisan maçon. Le maçon de base, c’est celui à qui on dit : "tu fais ceci, tu fais cela". Mais il faut passer par là de toute façon.

27) Pensez-vous que le métier soit attractif ?

Le métier est attractif à une seule condition : que l’on puisse évoluer. C’est le point fort des artisans : intégrer et utiliser toutes les connaissances et les techniques qu’on acquiert au fur et à mesure. Là, ça devient un plaisir considérable.

28) Pensez-vous que la profession d’artisan soit bien perçue ?

Oui. Le mot artisan est bien perçu mais il faut qu’il soit respecté par les artisans eux-mêmes. L’artisan doit avoir une relation directe avec le client. La confiance doit s’installer autour d’un ouvrage entre les deux parties. Lorsque les gens nous appellent, on sait qu’ils recherchent un artisan et non une grosse entreprise.

29) Pensez-vous que le métier d’artisan, en général, soit un métier facile ?

Non, on ne peut pas dire qu’il soit facile. Il faut être volontaire. Une grosse société, elle, répartit le travail. L’artisan, lui, il gère presque tout. L’artisan, il fait le travail proprement dit, la gestion, le relationnel, etc. Il fait tout. C’est quelqu’un de complet mais ça prend beaucoup de temps, parfois 12 heures par jour. Dans une grosse société, on se répartit le travail, la vie est plus aisée.

30) Avez-vous beaucoup de matériel ?

J’ai toujours du matériel lourd. Je le conserve. Il me servira.

31) Où vous approvisionnez-vous quant à vos matières premières ?

Les matières premières, je les prends chez un petit négociant près de Colembert. Je m’efforce toujours de m’approvisionner chez les petits négociants.

32) Quels sont les produits que vous achetez-vous le plus ?

Là, c’est simple. Ciment, sable, chaux, briques. Ça, c’est la priorité, c’est la grosse commande de l’année. Après, il y a les tuiles, le plâtre, etc. Pour les outils, on a un métier très simple. Lorsque j’ai débuté, j’ai commencé avec une caisse à outils – marteau, truelle, fil à plomb – une pelle et une petite voiture. J’ai débuté avec ça donc, au départ, c’est très basique. Pour s’installer, c’est sûrement l’un des métiers les moins onéreux. Après, il faut penser au bureau et au reste mais, initialement, le matériel est extrêmement simple.

33) Conseillez-vous cette profession à des enfants ?

Sincèrement, oui. Mais il faut respecter ce métier. Je le conseille. Je serais heureux de savoir, un jour, que l’un de vous est du métier. Je pourrais même le former. Mais seulement s’il respecte le travail en s’y investissant à fond. Sinon, ce n’est pas la peine. Je suis très dur avec ça.

34) Pensez-vous que l’apprentissage du métier soit correctement mené ?

Après avoir rencontré les établissements d’apprentissage, suite à divers problèmes avec les élèves, je peux dire qu’il existe deux établissements qui se détachent : Hesdigneul-lès-Boulogne et Lumbres. Parfois, nous avons eu des apprentis d’autres établissements mais il y avait des tolérances énormes des établissements. Elles étaient parfois négatives sur les chantiers. Pas de respect du travail, de l’ouvrage, de la matière.

35) Pensez-vous que les métiers manuels soient assez valorisés ?

Non je pense que, pour avoir de bons apprentis, il aurait fallu augmenter le salaire minimum et pouvoir rémunérer ses apprentis au mieux. Il faut que les jeunes puissent avoir une vraie fiche de paie. Pour un vrai métier, il faut un vrai salaire. Il faut que les jeunes puissent progresser en salaire jusqu’à leur 18 ans.

 

 

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Quel genre de musique préférez-vous ?

J’adore le classique et aussi le rock’n’roll.

Quel genre de films préférez-vous ?

Les films comiques, j’aime bien rigoler.

Quelles sont vos lectures préférées ?

Mon livre préféré, c’est un livre d’Eugène LEROY : "Jacquou le Croquant". Je l’ai lu et relu.

Quels sont vos loisirs préférés ?

J’en ai peu mais c’est le VTT. Quand je peux m’échapper, c’est au bois de Guînes.

Quels sont vos plats préférés ?

La poule au riz.

Quel est votre meilleur souvenir de voyage ?

Je n’en ai pas beaucoup. Mon meilleur souvenir, c’est en classe de neige, comme accompagnateur, il y a une dizaine d’années, avec Monsieur RATEL (directeur de l’école de Landrethun à l’époque), dans les Pyrénées.

Quelle est votre destination rêvée ?

C’est de pouvoir profiter de la vie et de visiter la France entièrement.

 

 

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Entretien réalisé le jeudi 9 décembre 2004.

 

 

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